Erbarme dich

Vous savez qu’en règle générale répondre un grand Oui à l’aveugle fessier de l’univers est suffisant pour aller de réussite matérielle en plaisirs profitables. Ce sont les gens, dites-vous, qui donnent du sens aux choses et vous allez dans le sens de consentir à tout, y compris aux deuils à venir, car vous avez rejoint la légion du Oui. On vous a conduit à croire, vous aussi, que votre bonheur dépendra du regard positif que vous porterez sur les événements, et vous voyez bien que la vie vous donne raison. Votre force est visible et vérifiable et vous aimez cela, que ceux qui devraient peut-être vous apporter du secours croient maintenant pouvoir compter sur vous. Vous savez qu’un sourire de mariée cernée de photographes amateurs mène plus loin, apporte de meilleurs résultats que des grimaces de contemplatif solitaire. Vous savez qu’il ne bougera pas de son trou, le rêveur scotché, colérique et pseudo-lucide que l’inguérissable gueule écrasée, sanguinolente de ce monde n’en finit pas de consterner. Vous êtes pragmatique et c’est une bonne chose.

Avec un sourire d’avance, vous affrontez l’indifférent cordial qui s’impose à vos pauses, lamine vos silences, dégrade vos pensées en pataugeant avec vous sur des terrains d’entente. C’est un de vos talents. Avec une hâblerie subtile vous sapez l’élan du collaborateur adhésif qui s’invite au centre de vos sous-chemises en papier recyclé carton couché pour voir avec vous la merde que vous auriez conçue sur tel numéro d’ordre. Oui, on revient vers vous et vous faites un sourire parce que c’est une bonne chose. On vient effectuer une dernière passe soi-disant sur tel code client, enfoncer votre nez sur ce ticket d’incident, sur ce chiffre étonnant, pas bon, cet incident qualité histoire de, dans le doute et oui, c’est une bonne chose. Ne pas devenir insultant, demeurer pédagogue jusqu’à ce que lumière et justice soient faites et sourire, c’est une qualité qui vous occasionne de vraies allégresses. Cela suffirait presque à votre envie d’un supplément d’être. D’autres bien-être de ce type vous font accepter tant d’ennuis collatéraux, tant de tâches lassantes, tant de loisirs problématiques et de dialogues abrutissants que, non, vous ne trouvez pas de raison de lever les yeux au ciel.

Au point où vous êtes rendu vous croyez que le doute conduit ses victimes à s’effondrer. L’esprit divisé fait selon vous des calculs mauvais (des rencontres mauvaises) qui l’invitent au découragement qui conduit au désespoir. Mieux vaut ne pas penser au pire. C’est ce que vous croyez parce que votre fanatisme de l’acceptation consiste à ignorer l’existence et le travail du temps. Et le temps vous apportera pourtant, quelle que soit la dimension de votre sourire à ce moment-là, des regrets et des accusations. Les unes seront foudroyantes, les autres légitimes.

Qu’avez-vous fait de vous. Détestez-vous à ce point les lois écrites dans les plis de votre cœur. Vous êtes indifférent à vous-même, adhésif aux autres. N’ayant plus de vie intérieure vous laissez votre père, votre mère, vos contacts, vos livres et vos chanteurs médiocres empoisonner votre esprit pourtant affamé de vérité, de silence, et capable d’intuitions de génie que vous écrasez avec le cul de votre verre à moitié plein. Vous prenez plaisir à vous mettre vous-même dans des situations insignifiantes et corrosives et vous ne voyez pas que vous n’avez jamais vraiment essayé de rester fidèle à ce qui vous tire vers le haut. Ce que la maladie, la solitude, l’amour non partagé, la haute musique ou l’ombre ciselée d’un arbuste avant midi ont pu tour à tour, répétitivement, vous inspirer comme but personnel, vous avez su vous persuader d’y renoncer, ou de compter sur le hasard pour l’accomplir à votre place. Vous ne croyez plus en vous. Et parce que pour vous il n’est de Dieu que le super-héros antique que des gens déséquilibrés ont essayé par des moyens diaboliques d’imposer à votre famille, vous refusez de prier. Vous n’essayez plus de réussir l’impossible auquel tout votre être aspire et vous dites que c’est une bonne chose. Et puis vous regardez les grands hommes et les femmes extraordinaires. Leur vie réellement créatrice a commencé par une montée spirituelle, par un moment de verticalité pure, après qu’ils se sont jetés à terre, brisés, humiliés et tranquilles devant ce que vous portez, vous aussi, dans les plis de votre cœur : une force invisible douée de Parole. Quelque chose de plus grand que la réussite et de plus infini que le bonheur humain, et dont la Beauté dans la nature et dans les Arts nous laisse à peine entrevoir quelques aspects tronqués. Maintenant voilà où vous en êtes : de chacun de ces créateurs, vous qui auriez tant à Faire, vous êtes jaloux.